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Pleine conscience en entreprise : un nouvel outil pour se donner bonne conscience ?

La méditation de pleine conscience pénètre doucement mais sûrement le monde de l’entreprise. Google et d’autres grandes entreprises américaines ont ouvert la voie, à grands renforts de communication sur les bienfaits de cette pratique. Alors, en France, on s’y met aussi. Si les « bénéfices » sont étayés par des études scientifiques de plus en plus nombreuses, il convient de rester prudent. La tentation est grande de céder à un effet de mode, et d’inscrire la pleine conscience dans les programmes de formation pour faire du « politiquement correct ».

La pleine conscience pour se donner bonne conscience ?

Attention aux intentions mal placées

Un programme de méditation en entreprise n’est pas un patch que l’on appose sur un problème, en croyant être maître dans l’art du camouflage. Si l’intention est d’apaiser des salariés trop stressés tout en continuant à alourdir la pression, ou de rendre les collaborateurs plus performants afin qu’ils acceptent une charge de travail accrue… alors il y a méprise. La méditation n’a pas vocation à faire accepter ou supporter ce qui n’est pas acceptable ou supportable. Elle a vocation à ouvrir chacune et chacun à la vie, plus pleinement, plus tendrement. On voit bien qu’on ne joue pas sur le même terrain. Et ce terrain-là n'est pas celui sur lequel les entreprises évoluent habituellement...

Et là est toute la subtilité – et le paradoxe – de la pratique : il n’y a rien à réussir, aucun objectif à atteindre. Et pourtant, on s’y engage bien avec une certaine motivation, ou plutôt une intention. Et au gré du chemin, on cueille bien des fruits, mais peut-être pas ceux que l’on escomptait, ni dans leur nature, ni dans leur timing. Ceci, transposé au monde de l’entreprise, est assez délicat. Il s’agit de poser l’intention d’une transformation – et celle-ci peut être radicale – mais sans savoir ce qui adviendra vraiment. Quelle gageure ! L’entreprise doit donc s’engager réellement, avec confiance, et sur la durée. Car ce n’est pas en tirant sur un brin d’herbe que l’on accélère sa croissance. L'herbe pousse naturellement, quand son heure arrive.

Pleine conscience

Souplesse et fermeté

La pleine conscience se transmet dans le cadre de programmes, qui nécessitent d’être adaptés aux besoins spécifiques de l’entreprise. Lorsque des particuliers apprennent la méditation, en suivant un programme MBSR (Mindfulness-Based Stress Reduction) par exemple, ils s’engagent à pratiquer au moins quarante-cinq minutes par jour, en plus d’une réunion de deux heures et demie à trois heures chaque semaine. Un tel engagement est très difficile dans l’entreprise. Même si les participants sont volontaires – et c’est fondamental – on ne peut exiger un temps de pratique trop important, ni imposer des sessions à un rythme trop intense. Pourtant, la pratique fleurit sur le terreau de la persévérance et de la durée.

Il faut donc trouver un juste et subtil équilibre : un programme de six à huit séances, espacées de deux à trois semaines, et des propositions qui s’adaptent aux agendas déjà très denses de chacun. Des pratiques courtes et variées suffisent à ancrer doucement la pratique dans le quotidien. Les entreprises qui proposent des programmes de méditation à leurs collaborateurs permettent ainsi une découverte, qui pour certains ne serait pas intervenue sans cette opportunité. Merveilleux ! Il faut toutefois veiller à préserver l’essence de la pratique, tout en respectant le rythme et les besoins de la vie de chacun au sein de l’entreprise.

A contre-courant

La méditation de pleine conscience propose une approche à contre-courant du mouvement dans lequel les entreprises sont engagées. On nous suggère de ralentir, alors que tout nous demande d’accélérer. On nous invite à déconnecter, alors que les injonctions nous poussent à l’hyper-connexion. On nous enseigne comment lâcher-prise, alors que nous sommes accoutumés à tout contrôler. On nous apprend à accueillir nos émotions, alors que l’époque nous intime de les éradiquer. Ce renversement radical a de quoi perturber ! Quand en plus on considère que par nature on ne peut rien attendre de particulier de la méditation, il y a de quoi perdre son coussin ! Rien attendre de particulier, et pourtant, pas à pas, cultiver une présence plus douce, plus vivante.

Cette présence est à mille lieues des indicateurs de performance auxquels l’entreprise voudrait rattacher les bénéfices de la méditation. Comment évaluer, chiffrer, les bienfaits de la présence ? Cette présence est comme une source qui vient irriguer chaque journée. C’est en elle que prennent racine les « bénéfices » qu’il faut bien mettre en avant pour rassurer. Des bénéfices avec même des bonus cachés, qui portent le nom de bienveillance ou compassion. Ces noms ne font guère partie du champ sémantique de l’entreprise. Alors on les garde sous le manteau. Pourtant, quand ces fleurs-là éclosent, passant outre le tamis des indicateurs de performance, on touche là à la beauté de la pratique, et on est au cœur des « bienfaits » - fussent-ils inattendus.

La méditation n’est pas une potion magique. Et si certaines entreprises cherchent à se donner bonne conscience en introduisant la pleine conscience, ceci ne sera qu’un feu de paille. Toutefois, avec des intentions justes et des attentes (très) mesurées, c’est un merveilleux cadeau à offrir aux collaborateurs.

Quel plus beau cadeau que de proposer un chemin qui s’ouvre sur une vie plus effervescente ?

Et cette effervescence a le pouvoir de faire pétiller les énergies qui oeuvrent au coeur de l'action. Alors, oui à la pleine conscience en entreprise, et pas (seulement) pour se donner bonne conscience !

Anne-Valérie Rocourt

Méditer & Agir

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