Méditation : Et si on jouait à être pleinement conscient ?
La pleine conscience (mindfulness), ou la pratique de la méditation, évoque souvent tout un cortège d’images ou conceptions : c’est spirituel, ésotérique, pour les sages ou pour les hippies, c’est trop tendance ou pas assez laïc, c’est trop difficile ou pas assez accessible. Bref, pour résumer, derrière ce paravent de perceptions se cache une pratique qui serait « trop » ou « pas assez » pour pouvoir entrer dans la vie de chacun. Et si nous changions de perspective ? Si au lieu de l’aborder comme une pratique sérieuse à prendre au sérieux, nous l’abordions comme une pratique légère, à prendre comme un jeu ? En considérant que la légèreté n’exclue pas la profondeur – et que peut-être elle peut même la nourrir – si on jouait à être pleinement conscient ?
La joie du jeu
Il suffit d’observer des enfants jouer pour saisir l’énergie et ressentir la joie qui émergent lors de simples jeux. Le jeu fait appel à de nombreuses de nos qualités : curiosité, ouverture, persévérance, créativité… et il peut nous faire vivre l’état de « flow », cet état où nous sommes tellement absorbés dans une activité que nous perdons la notion du temps.
Ces qualités éveillées par le jeu sont proches de celles que l’on cultive dans la pratique de la méditation : curiosité pour toutes les facettes de notre expérience, ouverture face à tout ce qui est présent, persévérance pour s’entraîner, créativité pour changer de perspective et découvrir nos schémas habituels…
Pourtant, nous percevons le plus souvent la méditation comme une pratique extrêmement sérieuse, issue d’un héritage de sagesse de 2 500 ans, arrivé jusqu’à nous grâce à de grands sages très respectables. Et, en remontant toute cette honorable chaîne, se trouve Bouddha, son enseignement (le Dharma), une philosophie d’une richesse inouïe. Bref, on ne rigole pas avec la méditation !
Or, cette perception donne une coloration particulière à la manière dont on aborde la pratique de la pleine conscience. Sérieux induit souvent pesant, pas drôle, ardu, pénible… Et ce n’est pas neutre, car cela teinte toute la manière dont nous cheminons. Même, cette perception empêche souvent tout premier pas sur le chemin, ou stoppe net le marcheur après les tout premiers pas.
Et si cette perception était juste un point de vue ? Nous pourrions alors choisir d’adopter un tout autre point de vue, plus soutenant, encourageant, stimulant ?
Plus de conscience dans l’insouciance
Personnellement, j’ai longtemps été mal à l’aise avec tous ces messages autour de la méditation de pleine conscience – et le programme MBSR en particulier (Mindfulness Based Stress Reduction) – qui réduisent la méditation à un antidote contre le stress, la dépression et l’anxiété. Même si ces bienfaits sont en effet avérés par de nombreuses études scientifiques, et bénéfiques pour de nombreuses personnes, moi, cela ne nourrissait pas mon engagement à poursuivre sur ce chemin parfois escarpé. Et en effet, le chemin est fait de hauts et de bas, et d’un engagement à pratiquer avec détermination et persévérance.
Comment concilier tout cela avec mes aspirations à l’enthousiasme, la légèreté, l’amusement ?...
J’ai petit à petit découvert que ce qui se joue est tellement plus ample… et que cela peut être un jeu. Une double-révélation qui m’a immensément aidée. Les fruits de la méditation ne ressemblent pas une pomme et une poire, mais plutôt au plus riche et coloré de tous les étals du marché en une belle journée d’été. Il s’agit d’aimer soi, sa vie, la vie – un magnifique programme ! Et si cela passe par une certaine discipline, on peut y glisser du jeu, en cultivant ces qualités des enfants qui ramassent ingénument des marrons en automne dans la cour de récréation.
Une étude réalisée par Ellen Langer (professeure à Harvard) illustre la richesse de ce changement de perspective : quel est l’intérêt de faire de cette pratique a priori ascétique un jeu ? Deux groupes ont été réunis, avec pour mission d’évaluer la qualité de dessins humoristiques. La mission a été assignée au premier groupe comme étant un travail, et au second groupe comme un jeu. Les participants du premier groupe se sont rapidement ennuyés et désengagés, tandis que les seconds ont pris du plaisir et effectué la tâche rapidement.
Et si un peu de jeu pouvait nous aider à nous réveiller ? La pleine conscience étant une forme de réveil à la vie qui nous anime, cette voie me semble intéressante à explorer. En tout cas, pour moi, elle a été stimulante et enthousiasmante. En cessant de considérer cette pratique comme une astreinte à l’austérité, et en me mettant dans la disposition de jouer à explorer mes paysages intérieurs, beaucoup a changé.
Choisir de jouer plutôt que trimer
Une autre étude éclaire de manière différente comment le jeu peu changer la tonalité de notre expérience. Ellen Langer a réuni des musiciens d’orchestre. Ceux-ci ont enregistré deux fois le même morceau – une partition qu’ils connaissaient très bien. Lors du premier enregistrement, les musiciens devaient repenser à un moment du passé où ils avaient pris beaucoup de plaisir, se laisser imprégner de ce souvenir, et jouer le morceau à l’identique. Pour le second enregistrement, l’instruction était simplement d’introduire des nouveautés très discrètement dans le morceau (comme un jeu !). Les deux enregistrements ont ensuite été écoutés par des auditeurs, non informés des instructions. A l’unanimité, ils ont préféré le second enregistrement.
Le premier enregistrement, même s’il était teinté par un état d’esprit positif, ne faisait que raviver le passé, et donc extrayait les musiciens du présent. Dans le second, l’invitation à introduire des nouveautés subtiles imposait aux musiciens d’être présents à leur mélodie. En plus, la notion de jeu intervenait avec cette proposition d’introduire de la créativité dans l’instant. Mieux vaut jouer au présent que télécharger le passé !
Changer d’état d’esprit relève d’un choix : choisir de jouer plutôt que trimer. Choisir de s’ouvrir à l’inconnu plutôt répéter le passé vu et revu. Choisir de s’émerveiller plutôt que se confiner à un regard blasé. Choisir de s’éveiller à nos sensations plutôt que s’endormir sur nos ruminations.
Jouer, c’est aussi rire de ce qui nous arrive (et de nous-mêmes aussi), s’amuser des mystères de l’existence, provoquer la magie, danser avec la vie.
Si méditer aide à se débarrasser du stress, à mieux apprivoiser les émotions difficiles, à apaiser ses tensions… si on retournait la proposition pour mettre plutôt en avant un chemin qui peut être un jeu vers la joie ?
Anne-Valérie Rocourt
Méditer & Agir
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