La mindfulness, je me perds ?... Quelques points de repère
La mindfulness est un art de vivre, comme je le décrivais dans un précédent article. Et cet art commence avec un instrument très simple, toujours à notre disposition : le corps, et la vie qui l’anime par le souffle.
Les enseignements du souffle
La pratique de la mindfulness sur la respiration amène à diverses prises de conscience, dont trois fondamentales :
L’impermanence : l’attention au souffle nous révèle le caractère singulier et unique de chaque inspiration, et de chaque expiration. Instant après instant, tout change, imperceptiblement, mais assurément.
Le non-jugement : si nous essayons de contrôler notre souffle, si nous nous crispons sur les vagabondages de notre esprit, nous ne parvenons pas à cultiver une juste qualité de présence.
Le non-soi : on approche un phénomène simple et pourtant tellement oublié : la respiration respire seule, sans que nous n’ayons rien à faire, comme mue par une volonté qui nous dépasse amplement.
La conscience du corps est le premier pilier de la mindfulness. Cette présence corporelle permet d’établir ensuite une attention aux tons émotionnels. Toutes nos expériences passent en effet par le filtre de trois ressentis de base : agréable, désagréable ou neutre. Et cette tonalité teinte ensuite radicalement nos pensées, nos émotions et aussi nos actes. Nous nous attachons à l’agréable, nous fuyons le désagréable, et le neutre entraîne une forme d’échappement. On trouve là les racines de nos souffrances : angoisse, anxiété, stress, maladies… C’est le chemin de la mindfulness : une exploration du corps, des ressentis, et de l’esprit, pour gagner en liberté, tant dans notre espace intérieur que dans nos interactions avec l’extérieur.
La mindfulness ne repose pas sur – ou ne crée pas – le calme, ni dans le corps, ni dans l’esprit. La pratique ne nous protège pas de la réalité, elle ne nous isole pas des tracas de l’existence, elle ne nous évite pas les émotions douloureuses. Elle s’appuie plutôt sur une attention vigilante et ouverte, qui accueille tout ce qui advient, sans juger. C’est ainsi que nous apprenons à cultiver un rapport amical avec le présent vivant. Et chaque expérience que nous rencontrons devient une occasion d’approfondir ce rapport, vers plus de bienveillance, de compassion, d’amour.
Quelques paradoxes…
La mindfulness n’est pas exempte de paradoxes, qui peuvent à première vue apparaître comme des injonctions contradictoires, mais qui en fait reflètent l’équilibre que nous cultivons sur ce chemin. Ainsi, une des instructions de base consiste à ne rien rechercher en s’engageant sur cette voie : il n’y a rien à atteindre, pas d’objectif à poser, nulle part où aller.
C’est pour le moins déconcertant. Il y a là un renversement radical par rapport à nos actes menés pour la plupart dans une perspective utilitariste. Non seulement on ne tend pas vers un objectif, mais en plus on accepte de ne rien contrôler. Lâcher le contrôle pour mieux apprécier. Il s’agit de quitter notre mode par défaut, celui du « faire » (performance, maîtrise, vitesse, utilitarisme), pour passer au mode « être » (accepter de ce qui advient, ralentir, cesser le combat). S’ouvrir à l’inattendu, et entrer dans la danse avec la vie.
Aussi, nous croyons souvent que pour nous libérer de la souffrance (qui peut prendre la forme de douleur, stress, peur…), nous devons la fuir, ou lutter contre elle. Si c’est ainsi que nous trouvions la paix et le bonheur, cette recette aurait déjà été validée. Dans un renversement radical, la mindfulness nous enseigne à cesser la lutte, et à rester avec la souffrance, comme avec nos faiblesses et nos zones d’ombre. Entretenir ce rapport de tendre présence et d’accueil bienveillant est à la fois déconcertant, et pas si facile. C’est aux antipodes de notre réactivité habituelle. C’est ainsi que nous apaisons progressivement les champs de bataille en nous, et que nous cultivons un sens de plénitude.
Et si nous apprenions notre métier d’êtres humains ?
La mindfulness nécessite donc un entraînement. On comprend bien que le corps a besoin d’exercices pour devenir plus souple et plus musclé. Pourquoi en serait-il différemment de l’esprit ? Cet entraînement passe traditionnellement par la pratique de la méditation sous sa forme formelle ou informelle. La méditation formelle inclue la pratique assise (aussi debout ou allongée) ou en mouvement. La méditation informelle consiste à intégrer la conscience vigilante du présent dans nos activités quotidiennes. C’est ainsi que non seulement nous affinons notre entraînement, mais surtout nous transmutons nos activités en occasions de nous ouvrir plus pleinement au monde. La sagesse que nous cultivons avec la mindfulness devient alors voie de sagesse pour une plus belle contribution au monde.
Il s’agit d’un travail, ou d’un apprentissage. Nous apprenons bien volontiers un sport, un instrument de musique, ou un métier. Pourquoi n’apprendrions-nous pas le plus beau métier du monde : le métier d’être humain ? Cela commence par se départir de la vision de l’être humain comme un corps-machine, équipé d’un esprit intelligent, et accessoirement d’un cœur. La mindfulness nous propose de renouer avec une éthique fondamentale, reposant sur la plénitude et la bonté de l’être humain, qui se révèle sous la lumière de la conscience.
Notre voyage sur le chemin de la vie restera mystérieux, chaotique, sinueux, avec ses accidents, ses reliefs et ses tunnels sombres. La mindfulness n’a pas le pouvoir de changer la nature du chemin, mais elle peut transformer notre manière de vivre ce voyage et de traverser les passages difficiles. Ainsi, au cœur de ces difficultés, la grâce peut encore trouver un espace pour nous toucher.
La mindfulness offre une voie extrêmement précieuse, dans ce monde où la peur, le cynisme, le découragement prévalent. Face aux messages défaitistes et aux oiseaux de mauvais augure qui envahissent la place publique aujourd’hui, la mindfulness porte la voix de l’espérance. Elle montre que nous avons toujours la possibilité de travailler avec et pour notre être, et ainsi de nous engager dans et pour une vie plus libre. Le découragement ambiant apparaît dès lors comme une imposture.
L’espérance redevient possible, de manière concrète, ici et maintenant.
Anne-Valérie Rocourt
Méditer & Agir
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