Comment mettre plus de joie dans ses journées de travail
La vogue du « bonheur au travail » est le miroir de notre quête de « mieux-être » : oui, nous aspirons à être mieux, non seulement dans nos vies personnelles, mais aussi pendant nos journées de travail. Après tout, ne consacrons-nous pas, pour beaucoup d’entre nous, la majeure partie de notre temps éveillé à nos activités professionnelles ? Et, alors que dans les bureaux ceux qui se tuent à la tâche (burn-out) côtoient ceux qui s’ennuient à mourir (bore-out), il devient urgent de se pencher au chevet de ces malades et de leurs maux. Il existe diverses approches, et de nombreux ouvrages abordent le vaste sujet du bonheur au travail. J’ai l’envie simple de partager ici deux pistes applicables par chacun, sans attendre que le changement vienne « d’ailleurs ». Pour commencer à renouer avec un brin d’enthousiasme et des instants de joie.
C’est quoi, cette maladie du lundi ?
Lundi matin, vous avez passé un week-end ressourçant. Vous avez décidé d’aborder cette nouvelle semaine avec le sourire, empli de votre vitalité retrouvée. Dans l’ascenseur qui monte vers votre bureau, vous croisez un collègue, à qui vous adressez votre plus beau : « Bonjour, comment ça va ? ». La réponse est sans appel : « Comme un lundi ! Et toi ? ». Au détour du couloir, deuxième rencontre, deuxième bonjour, et le même couperet « comme un lundi ». A la machine à café, les « comme un lundi » donnent avec votre café Selecta une légère amertume. Et votre bonne humeur commence à être teintée de ces réponses rabat-joie.
Mais que se passe-t-il donc ? Pourquoi la semaine de travail est-elle perçue comme une longue traversée du désert jusqu’à l’oasis du week-end ? Nous sommes aujourd’hui loin des conditions de travail qui prévalaient il y a un siècle. Et pourtant, le travail semble renouer avec son éthymologie latine : tripalium, signifiant torture. Un angle d’approche consiste à explorer la perte de sens, l’impossibilité d’harmoniser nos valeurs avec celles de l’entreprise, le sentiment d’avoir perdu autonomie et responsabilité… Un autre angle, biologique, observe ce qui se passe dans notre cerveau. Et on trouve là une explication simple et éclairante du désengagement des salariés.
Le circuit de la dopamine de beaucoup de travailleurs désengagés semble anesthésié. La dopamine, c’est cette hormone qui génère la curiosité, l’enthousiasme, l’excitation. Elle nous met en mouvement. Elle contribue à créer un sentiment de vitalité, à nous faire nous sentir bien vivants. Elle est parfois appelée "hormone du bonheur".
Et, pour s’activer, la dopamine a besoin du stimulant de la motivation intrinsèque : la motivation fondée sur l’envie de faire quelque chose, juste pour le plaisir du chemin. Or, la plupart des entreprises motivent leurs employés avec le vieux système de la carotte et du bâton. Une augmentation de salaire, ou la sanction d’un licenciement, sont les perspectives dont doit se nourrir le cerveau. En outre, la répétition des tâches annihile l’esprit de découverte qui booste la dopamine. Ainsi, des cohortes de zombies hantent les couloirs de bien des bureaux.
Comment remettre de la joie dans nos journées de travail ?
Cette maladie du lundi n’est pas une fatalité. Nous pouvons réactiver ce circuit, et laisser nos costumes de zombies au vestiaire. La psychologie positive propose une approche pragmatique et efficace pour étudier et modéliser ce qui fonctionne, afin que nous nous sentions mieux, et soyions en mesure de donner le meilleur de nous. De nombreuses recherches se sont penchées sur ce phénomène du mal-être au travail, et des pratiques très simples ont été expérimentées, et validées. Voici deux pistes pour ré-inviter la joie dans nos journées de travail.
1. Utilisez vos forces
Nos forces (ou talents) sont ces traits de caractère authentiques, pour lesquels nous sommes naturellement bons, et qui nous donnent plaisir et énergie quand nous les utilisons. Il peut s’agir de persévérance, humour, créativité, leadership, curiosité, gratitude…. Les forces se distinguent des compétences, qui elles sont acquises, le fruit d’un apprentissage (plus ou moins conscient), et pour lesquelles nous pouvons être performants, mais souvent leur utilisation ne nous procure pas beaucoup d’énergie. Au contraire, le déploiement de certaines compétences peut être énergivore, et peu plaisant.
Nous avons tous une combinaison unique de forces, qui fait notre richesse et notre singularité. Et notre aspiration profonde est d’exprimer cette palette de forces, car c’est là que nous nous épanouissons le plus, et offrons notre meilleure contribution au monde. Une large étude menée par Gallup sur plus d’un million de salariés a montré que ceux qui utilisent leurs forces au travail se sentent plus énergiques, plus optimistes et enjoués, et cela se diffuse sur l’ensemble de leur vie, qu’ils jugent plus heureuse.
Seulement, de nombreux environnements de travail ne permettent pas aux collaborateurs de mettre en œuvre cette richesse. Au contraire, ce sont les faiblesses qui sont pointées, et il est demandé de travailler avec acharnement pour atténuer ces fragilités. Or, cette approche est contre-productive : nous ne serons jamais ni très bons, ni très heureux, en travaillant sur nos faiblesses. Quel gâchis, si on considère que les faiblesses des uns sont les forces des autres, et qu’en jouant les complémentarités et la coopération, des synergies et énergies fabuleuses pourraient émerger.
Alors, sans attendre que l’entreprise développe un management basé sur les forces (et heureusement de plus en plus d’organisations s’intéressent à cette approche), vous pouvez vous-même activer vos forces. Un exercice très simple, qui a fait ses preuves, consiste à trouver chaque jour un nouveau moyen de mettre en œuvre une de vos forces. Soyez créatif, et amusez-vous ! Par exemple, si l’humour est une de vos forces, injectez un supplément d’humour dans vos présentations. Ou si le discernement est un de vos talents, vous pouvez aider un collègue qui hésite face à une décision à prendre. Si vous jouez à cela pendant une semaine, vous ressentirez un supplément de vitalité. Assuré !
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2. Continuez à apprendre
L’apprentissage est un facteur de motivation intrinsèque puissant. Nous avons tous cette aspiration à apprendre, progresser, grandir. Et notre cerveau est friand de nouveauté. Cela active la dopamine, la fameuse "hormone du bonheur". Or, ce moteur de l'apprentissage est souvent enrayé à plusieurs niveaux dans l’environnement de travail.
D’abord, même si la formation est à l’honneur dans bien des organisations, il s’agit souvent de nous apprendre à corriger nos faiblesses, acquérir des compétences utiles pour notre poste, travailler sur ce qui ne va pas. Le postulat est que nous devons nous adapter à notre poste - et surtout pas l'inverse. Or, selon l’approche des forces (cf. point précédent), cette orientation de l'apprentissage est certes intéressante du point de vue de l’entreprise, mais guère nourrissante sous l’angle de notre « réservoir de bonheur ». Cette sur-adaptation ne nous mènera pas à donner le meilleur. Au contraire, elle nous confronte souvent à ces limitations qui requièrent tant d'énergie pour être dépassées, sans grand succès.
Ensuite, les objectifs de performance vont à l’encontre de notre appétit pour l’apprentissage. Quand nous sommes motivés par des objectifs à atteindre, et que notre réussite est évaluée selon des critères chiffrés, nous éteignons le système de quête de nouveauté dans notre cerveau. Et la dopamine n’est plus libérée. La motivation basée sur la performance – et la comparaison aux autres – est un critère anxiogène, guère compatible avec le bien-être. Inversement, quand nous nous sentons libres d’expérimenter, sans craindre d’être sanctionnés si nous commettons une erreur, nous nous relions à une motivation intrinsèque. Par exemple, une étude menée sur des vendeurs a montré que ceux qui se concentraient sur les possibilités d’apprentissage dans leurs missions étaient beaucoup plus performants que ceux qui se focalisaient uniquement sur leurs objectifs chiffrés (voir l'étude intégrale ici).
L’esprit d’apprentissage se cultive, et se décide… C’est un état d’esprit ! Même si votre entreprise ne met pas l’apprentissage à l’honneur, même si le droit à l‘erreur n’est pas reconnu, vous pouvez introduire des petits changements dans votre manière d’appréhender votre travail. L’invitation est de réorienter vos priorités, quand c’est possible, de l’atteinte d’objectifs au plaisir de l’apprentissage. Par exemple, plutôt que de chercher à être le « top manager de l’année », vous pouvez vous fixer comme objectif de cultiver des relations plus harmonieuses et chaleureuses dans votre équipe. Ou plutôt que de viser à être reconnu comme le collaborateur le plus rapide et efficace de l’équipe, vous pouvez déployer votre curiosité et découvrir les talents de vos collègues. Et l’état d’esprit général pourrait bien en être positivement affecté !
Le bonheur au travail est un vaste chantier. Vu dans sa globalité, le chantier peut paraître effrayant et insurmontable. Mais si on le découpe en tranches de travaux, alors il devient faisable. Il appartient à chacun de prendre en charge sa tranche de travaux, pour avoir le plaisir d’accomplir sa mission, et contribuer ainsi à la construction de l'édifice.
Anne-Valérie Rocourt
Méditer & Agir
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