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Quand la pluie appelle à la présence

Je suis assise en terrasse. C’est la petite terrasse d’une boulangerie, havre de paix sur l’avenue Daumesnil. Je me suis posée là, pour laisser couler l’heure qui me reste avant l’animation d’un programme de méditation dans une entreprise toute proche. Sur mon plateau en plastique : un cheesecake et un café.

Je remarque que le ciel est gris, et je sens que l’air est lourd. Je suis bien à l’abri, sous le auvent. Il est 13h, je suis chanceuse d'avoir trouvé une table, à l'heure où les abeilles du quartier se pressent pour avaler un sandwich entre deux tranches de leur journée de travail.

Je pense à ma matinée de formation en psychologie positive. Je me suis régalée. Et je pense à ce groupe d'apprentis méditants que je vais retrouver cet après-midi, dans cette entreprise. Comment auront-ils vécu les deux semaines passées depuis notre dernière session ensemble ? Seront-ils tous là ? Fera-t-il très chaud dans la salle ? Vais-je me souvenir de leurs prénoms ?... Puis je scanne mentalement mon agenda d’ici demain. Et je reviens à mon programme de cet après-midi. Une pensée passe, l'autre la suit, sans guère d'espace.

Mes pensées vagabondent, et ma main aussi, allant et venant entre mon plateau et ma bouche. Je jette un coup d’œil à mon gâteau. La moitié s’en est déjà allée. Déjà ? Et mon café… le gobelet est à moitié vide ! Ou à moitié plein ?!

Soudain, un vacarme assourdissant recouvre le bruit de mes pensées. La pluie s’est invitée dans la danse de mon esprit. Sauf qu’elle est réelle, bien réelle. Elle est là, frappant aux portes de tous mes sens : l’air est soudain chargé d’humidité, des gouttelettes me caressent les pieds, le auvent sur ma tête résonne de ces trombes d’eau lâchées subitement par le ciel en overdose.

Pluie bénie, qui me rappelle à la présence. Où étais-je ? Ailleurs. Pas là. Loin, perdue dans le paysage fascinant de mes pensées.

Je me suis posée là. Je ne m’y suis pas déposée.

Et ma première sensation est cette tension que je remarque dans mon corps en apnée : mes jambes sont croisées fermement, mes pieds sont tout recroquevillés, mes épaules sont relevées, en suspension, mon dos est voûté. Un vrai fil de fer tout tordu.

Soulagement… je suis de retour sur cette terrasse. Je réhabite mon corps, je relâche ces nœuds. C’est bon. Je suis là.

Et là, j’observe un mouvement subtil qui subrepticement s’opère. Une voix s’élève en moi, qui a envie de me balancer une volée de reproches. C’est un comble alors… je pratique la méditation, j’en parle, j’écris, j’enseigne… et je ne suis même pas capable d’être présente le temps d’une pause sur cette terrasse ? Comble du comble : je m’apprête à animer trois heures de méditation auprès d’un groupe, et je n’incarne pas ce que je partage avec eux ?

Je l’entends monter, cette voix malveillante. Je la connais bien. Et je ne veux plus me laisser mener par elle par le bout du nez : reproches, culpabilité, honte… et la joie s’en va !

La pluie apporte avec elle une brise de bienveillance qui vient caresser mon corps et mon esprit. Cet instant-ci est le parfait instant pour revenir au présent. Merci pour ce cadeau ! Ce moment de conscience est le seul qui compte. Alors, je savoure la symphonie de la pluie. Et s’il ne reste plus qu’un petit morceau de mon gâteau, celui-ci sera délicieux, comme s’il était le gâteau tout entier.

La vie est là, et je réponds maintenant « présente » au rendez-vous auquel elle m’invite. Tout est plus spacieux. Même cette petite terrasse a gagné en majesté.

Anne-Valérie Rocourt

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